
Les enfants ont parfois des idées farfelues ou surprenantes sur le fonctionnement des choses. Par exemple, les enfants peuvent penser que la mer est salée parce qu’un nuage pleut du sel au-dessus de la mer. Ou encore, les enfants peuvent penser que la nuit tombe lorsque le soleil est fatigué. Il s’agit là de conceptions intuitives, c’est-à-dire des idées qui pourraient être cohérentes par rapport à des phénomènes naturels observables. Cependant, ces conceptions intuitives peuvent être erronnées et nuire à l’apprentissage en contexte scolaire. Cet article identifie les caractéristiques des conceptions intuitives et présente leur rôle pour l’apprentissage des enfants dès l’âge préscolaire.
Qu’est-ce qu’une conception intuitive?
Dans la recherche, les conceptions intuitives portent plusieurs noms : préconceptions, conceptions erronées, conceptions naïves, conceptions initiales. Elles se basent sur l’interprétation des phénomènes vécus ou observés. Les conceptions intuitives sont présentes chez les enfants avant même qu’ils mettent les pieds en classe. Elles possèdent six caractéristiques qui les distinguent des autres connaissances :
- Les conceptions intuitives sont dominées par les perceptions. La conception du monde des enfants est liée à ce qui est directement observable. Cela peut conduire à une compréhension erronée. Par exemple, un enfant peut penser que le carré de sucre déposé dans un verre d’eau n’existe plus parce qu’on ne le voit plus.
- Les conceptions intuitives ont une portée limitée. Plus souvent, les conceptions intuitives ne prennent pas en compte les interactions entre les éléments d’un phénomène. Par exemple, les enfants peuvent penser que les branches d’un arbre brûlent bien dans un feu. Ils ne tiennent pas en comptent que d’autres facteurs peuvent jouer sur le fait qu’une branche brûle bien ou non. Par exemple, une branche humide brûlera moins bien.
- Les conceptions intuitives sont centrées sur le changement plutôt que la stabilité. Par exemple, les enfants tendent à penser qu’aucune force n’est exercée sur un livre déposé sur une table, parce que celui-ci est inerte.
- Les conceptions intuitives découlent d’un raisonnement de cause à effet unidirectionnel. Lorsqu’ils tiennent un verre d’eau glacée dans leur main, les enfants peuvent penser que le verre refroidit leur main. Pourtant, ils ne pensent pas que leur main réchauffe également le verre (effet bidirectionnel).
- Les conceptions intuitives sont globales. Lorsque les enfants discutent du poids, ils réfèrent souvent de façon interchangeable aux notions de volume, de pression ou encore de densité. Ils ne différencient donc pas entre certains concepts similaires.
- Les conceptions intuitives sont dépendantes du contexte, c’est-à-dire que les enfants peuvent développer des idées qui se contredisent par rapport à un même concept scientifique. Par exemple, un enfant pourrait mentionner qu’une carafe métallique permet de garder le café chaud longtemps. Pourtant, il dirait qu’un bol du même matériau est plus rapide à refroidir la soupe parce qu’il conduit bien la chaleur.
Les conceptions intuitives sont stables, c’est-à-dire qu’elles seraient difficiles à changer, même grâce à un enseignement ciblé. Elles posent donc problème à l’acquisition des apprentissages scolaires. En effet, elles ont tendance à s’opposer aux connaissances acceptées par la communauté scientifique et enseignées à l’école. Un bon exemple est que les enfants tendent à penser que les objets lourds vont couler dans l’eau, tandis que les objets légers ne couleront pas. Ces conceptions erronnées persistent même souvent jusqu’à l’âge adulte.
Comment les conceptions intuitives se développent-elles?
Le cerveau est un expert à identifier des régularités dans l’environnement. Quand un bébé prend un objet dans sa main et le lâche, il vient à comprendre que lâcher l’objet le fait tomber au sol. La notion de gravité, ou d’attirance vers le sol, se forme donc graduellement dans l’esprit des enfants. Par leurs expériences quotidiennes, les enfants développent une base d’expériences sur lesquelles ils fondent leurs théories quant au fonctionnement du monde.
Les conceptions intuitives sont donc créées à partir de l’observation d’un même effet à plus d’une reprise et à sa généralisation à l’ensemble des situations. Comme il s’agit tout de même de régularités des phénomènes naturels, les conceptions intuitives permettent d’expliquer, de façon simpliste, une majorité de situations. Elles sont généralement applicables. Mais qu’arrive-t-il lorsque l’enfant qui laissait tomber un jouet observe un astronaute dans l’espace? On se rend alors compte que sa conception de la gravité n’était pas complète, et que ce n’est pas un phénomène qui est généralisable à travers tous les contextes.
Des conceptions qui évoluent… ou pas!
Qu’est-ce qui arrive lorsqu’une personne se rend compte que sa conception intuitive ne fonctionne pas? Qu’arrive-t-il quand un enseignant tente d’expliquer “correctement” un phénomène? Il est tentant de penser que les conceptions intuitives sont remplacées par les connaissances scientifiques. Néanmoins, les chercheurs pensent plutôt que les conceptions intuitives et des nouvelles connaissances coexistent. Une personne développerait plusieurs conceptions sur un même phénomène et utiliserait celle qui convient le mieux selon le contexte.
Cela explique donc pourquoi les conceptions intuitives posent problème aux apprentissages scolaires. Elles ne disparaîtraient jamais vraiment. Les enseignants, ainsi que les parents, doivent donc soutenir l’adaptation graduelle des conceptions intuitives pour répondre aux objectifs scolaires.
Soutenir l’acquisition des connaissances en tenant compte des conceptions intuitives
Pour soutenir la transition entre conceptions intuitives et connaissances scientifiques, il faut comprendre qu’on demande au cerveau de l’enfant d’effectuer un changement conceptuel. Il s’agit de réorganiser ses connaissances nouvelles et antérieures pour en arriver à une compréhension plus juste des phénomènes. Cela implique de modifier la façon dont les neurones du cerveau interagissent. Il s’agit donc d’un changement difficile et très graduel. Pour soutenir cette réorganisation, il est possible de :
- Prendre en compte les conceptions intuitives tout au long des apprentissages. Il est important de nommer et de revenir constamment aux conceptions intuitives des enfants. Cela leur permet de tisser des liens et de comparer l’utilité et la justesse de leurs différentes conceptions.
- Prévenir votre enfant que son cerveau lui jouera des tours. Avertissez votre enfant lorsque vous lui posez une question qui fait appel à une conception erronée comme “Est-ce le soleil qui tourne autour de la Terre ou l’inverse?”. Cela lui permettra de s’entraîner à reconnaître les pièges des connaissances intuitives.
- Mettre l’emphase sur les situations dans lesquelles se produisent les pièges. Une bonne façon de le faire est de jouer à prédire ce qui arrivera. Par exemple, sur le bord de l’eau, regroupez différents objets et demandez à votre enfant de prédire si chacun flottera ou coulera. Lorsqu’il ne se produit pas ce qu’il avait prédit, explorez avec lui pourquoi il avait choisi cette réponse et qu’est-ce qui s’est passé de différent. Répétez souvent l’expérience pour solidifier encore plus les apprentissages.
- Faire preuve de patience. Les conceptions intuitives persistent tout au long de la vie. La plupart des adultes se fient encore à certaines conceptions intuitives erronées. Il est donc normal que votre enfant se trompe parfois ou ait de la difficulté à intégrer une nouvelle connaissance scientifique.
- Encourager votre enfant à se demander “pourquoi?”. L’évolution du réseau de conceptions de l’enfant se fait d’autant plus facilement si elle répond à une interrogation qui vient de lui-même.
- Tenter de ne pas utiliser de raccourcis dans vos explications sur le monde. Plusieurs phénomènes naturels, tels que l’électricité ou la lumière, sont difficiles à comprendre et à vulgariser. Toutefois, une explication erronée crée une conception intuitive qui, éventuellement, s’opposera à la connaissance scientifique apprise en classe. Favorisez les métaphores ou les comparaisons avec des objets concrets pour expliciter les phénomènes vécus. N’hésitez pas à faire des recherches pour mieux comprendre des phénomènes afin de mieux pouvoir les expliquer.