
Les humains, tout comme les animaux, apprennent de façon sociale. Par exemple, ils observent les comportements d’une personne, puis les imitent. L’apprentissage social est une façon importante par laquelle les enfants apprennent. Néanmoins, les enfants sont sélectifs et ne font pas nécessairement confiance à tout le monde pour apprendre. Cet article, écrit par Aimie-Lee Juteau, une doctorante en psychologie clinique, explique le concept d’apprentissage social sélectif chez les jeunes enfants et explore certains facteurs influençant la sélectivité des enfants lors de l’apprentissage.
Est-ce que les enfants apprennent tout ce qu’ils voient et entendent ?
On dit souvent que les enfants apprennent telles de petites éponges, en absorbant toutes les informations que nous leur fournissons (parfois bien malgré nous !). En effet, les enfants apprennent beaucoup en interagissant avec les autres ou en les observant. C’est ce qu’on appelle l’apprentissage social.
Pourtant, les enfants ne sont pas aussi naïfs que l’on pourrait le croire. Ils n’accordent pas nécessairement la même importance à toute l’information qu’ils perçoivent et sélectionnent plutôt certaines sources spécifiques afin d’éviter de commettre des erreurs. C’est le sujet sur lequel ma recherche au sein du Laboratoire sur la pensée des enfants de l’Université d’Ottawa porte. Notre recherche explore ainsi de quelles manières les enfants sont « sélectifs » quant à l’information qu’ils retiennent et vise aussi à mieux comprendre pourquoi une telle sélectivité existe.
Jusqu’à présent, la recherche démontre que lorsque les jeunes enfants apprennent, ces derniers ont tendance à privilégier certaines sources d’informations par rapport à d’autres, d’où le terme «Apprentissage social sélectif ». Les enfants vont même choisir certains facteurs ou caractéristiques précises auxquels se fier.
Définition de l’apprentissage social sélectif
Tendance qu’ont les enfants à préférer apprendre de certains individus (ou modèles) par rapport à d’autres selon les caractéristiques que ces derniers présentent.
Quels facteurs influencent la sélectivité des enfants lorsqu’ils apprennent ?
Plusieurs études ont tenté d’identifier les raisons pour lesquelles un enfant choisira d’apprendre d’une source d’information, plutôt que d’une autre.
Par exemple, certaines études ont présenté à des enfants d’âge préscolaire deux scénarios. Dans le premier scénario, une personne agissait de façon adéquate en utilisant correctement un objet familier (p. ex. enfiler un gant sur sa main) ou en identifiant correctement un objet familier (p. ex. pointer une balle et nommer l’objet “balle”). Dans le deuxième scénario, une seconde personne agissait de manière inexacte ou incorrecte. Cette personne utilisait par exemple un objet incorrectement (p. ex. tenter d’enfiler un gant sur son pied) ou nommait incorrectement un objet (p. ex. pointer une balle et indiquer qu’il s’agit d’une “chaussure”). Suite à la présentation de ces deux scénarios, on invitait les enfants à apprendre de nouveaux mots avec l’aide des personnes fictives qu’on venait de leur présenter. Ces deux personnes fournissaient par contre des définitions contradictoires pour désigner un même mot. Les enfants devaient ainsi choisir de qui des deux personnes ils souhaitaient apprendre. Dans ces études, les enfants préféraient apprendre de la personne qui avait utilisé ou nommé l’objet de façon correcte plutôt que de la personne qui l’avait utilisé ou nommé de façon incorrecte.
Pour les adultes, ce choix peut sembler assez intuitif et facile à faire. Nous comprenons qu’il n’est pas optimal pour notre apprentissage de se fier à une personne qui utilise ou nomme des objets de manière inexacte. Ce qui est étonnant c’est que des enfants aussi jeunes que 14 mois arrivent eux aussi à faire ce choix et ce, malgré leurs capacités cognitives moins développées.
Par ailleurs, lorsque les enfants apprennent, ils arrivent même à se montrer sélectifs en se basant sur des caractéristiques moins « évidentes » ou sur des facteurs qui ne semblent pas reliés directement aux meilleures chances d’apprentissage.
Dès l’âge de 3 ans, les enfants choisissent d’apprendre d’individus faisant preuve de gentillesse plutôt que de méchanceté. Pourtant, la gentillesse d’une personne n’indique pas qu’elle donnera des informations exactes ou fiables.
Les enfants utilisent également d’autres caractéristiques d’ordre social pour guider leur apprentissage. Par exemple, dans une étude de Corriveau et Harris, il y avait une enseignante familière et une autre qui n’était pas familière à l’enfant. Chacune des enseignantes fournissait des informations contradictoires au sujet de nouveaux objets. Les enfants de 3, 4 et 5 ans faisaient davantage confiance à l’enseignante familière. En effet, ils choisissaient de demander des informations à l’enseignante familière et se fiaient davantage aux réponses de celle-ci.
Plusieurs d’entre vous avez peut-être déjà remarqué cette préférence qu’ont les enfants pour les personnes familières. Par exemple, les enfants font plus confiance à leurs parents ou aux membres de leur famille proche plutôt qu’à un étranger. Il est important de noter que cette préférence a une tout autre portée lorsqu’il est question d’apprentissage puisque connaître quelqu’un ne veut pas nécessairement dire que la personne a des connaissances au sujet de la matière en question.
Bien entendu, les études présentées ici ne décrivent pas de « bonnes » ou de « mauvaises » manières d’apprendre. Par exemple, apprendre d’une personne familière ne veut pas nécessairement dire que l’apprentissage sera exact ou utile, bien que cet apprentissage puisse être d’une importance sociale. Néanmoins, les études exposent des comportements qui semblent revenir chez certains enfants. Il est toutefois bon de noter que ces comportements ne sont pas présents chez tous les enfants, d’où l’intérêt de mieux comprendre ce qui se cache derrière ces mécanismes.
Qu’en est-il pour vos enfants ou ceux de votre entourage ? Avez-vous remarqué s’ils avaient tendance à préférer apprendre de certaines personnes par rapport à d’autres ?
Mini expérience à essayer avec vos enfants
Essayer d’enseigner quelque chose de nouveau à votre enfant et demandez à un individu qu’il connaît moins bien de contredire cet apprentissage. Observez ensuite sur qui votre enfant préférera se fier quant à ce nouvel apprentissage.
Une variante amusante de cette expérience implique que vous fassiez une action un peu étrange et que l’individu que votre enfant connaît moins bien fasse l’action inverse qui pourtant, semble plus « naturelle ». Vos pourriez par exemple manger des céréales à l’aide d’une fourchette alors que l’autre individu mange des céréales avec une cuillère. La dualité entre accomplir une action familière correctement (manger des céréales à l’aide d’une cuillère) ou incorrectement (à l’aide d’une fourchette) n’est plus aussi évidente puisque nous ajoutons la familiarité de la personne qui accomplit l’action (vous-même ou une personne étrangère à l’enfant).
Y a-t-il des contextes plus propices à l’apprentissage social sélectif ?
Il est intéressant de souligner qu’il existe des contextes dans lesquels les jeunes enfants font davantage preuve de sélectivité. Notamment, nous savons que l’apprentissage social sélectif est particulièrement présent lorsque les enfants observent un modèle puis l’imitent et copient ses comportements. Par exemple, dès l’âge de 2 ans, les enfants ont davantage tendance à imiter un modèle démontrant de l’assurance plutôt qu’un modèle agissant de manière hésitante. Plusieurs enfants semblent aussi préférer imiter de nouvelles actions par rapport à des actions familières.
Avez-vous noté de tels comportements chez vos enfants ? Vos enfants ont peut-être tendance à imiter certains types de modèles plus que d’autres (p. ex. ceux qui passent à la télévision) ou même certains types de comportements (p. ex. imiter lorsqu’ils apprennent de nouvelles choses ou à l’inverse parfois même imiter des choses qu’ils connaissent déjà) ? Peut-être entrevoyez-vous déjà les implications que l’apprentissage social sélectif peut avoir sur votre façon d’enseigner aux enfants et sur les modèles auxquels ils sont confrontés dans la vie de tous les jours (qu’ils soient bons ou mauvais, confiants ou hésitants, familiers ou non).
Excellent article. Facile à comprendre et très intéressant! Merci !