
Les jeunes ayant vécu des traumas complexes (c-à-d., traumas interpersonnels chroniques ou répétés) peuvent vivre des conséquences multiples et variées qui couvrent différentes sphères de leur développement (ex. sphère émotionnelle, physique, cognitive, comportementale, relationnelle, etc.). Face aux défis que peuvent rencontrer ces jeunes, les adultes qui gravitent autour de ces derniers se questionnent parfois sur les stratégies qu’ils peuvent adopter afin de soutenir leur développement. Dans cet article, Marie-Ève Grisé Bolduc, autrice du livre « 10 questions sur le trauma complexe : Mieux comprendre pour mieux intervenir », fournit quatre stratégies importantes permettant d’orienter les interventions des adultes qui souhaitent accompagner ces jeunes.
Qu’est-ce que le trauma complexe?
Le trauma complexe chez les jeunes est un concept qui réfère à une double réalité.
D’abord, il réfère à l’exposition chronique ou répétée à des traumas de nature interpersonnelle. Il s’agit de traumas qui se vivent au sein même des relations significatives que les jeunes entretiennent avec leur entourage. Par exemple:
- Abus physique;
- Abus sexuel;
- Négligence;
- Exposition à la violence conjugale;
- Abandon;
- Mauvais traitements psychologiques.
Ces traumas peuvent donc impliquer une ou des figures de soins. Par exemple:
- Un parent;
- Un membre de la famille élargie;
- Un gardien;
- Une personne en autorité tel qu’un enseignant, un entraîneur, etc.
De plus, les traumas interpersonnels vécus de façon chronique ou répétée durant l’enfance ou l’adolescence sont associés à la complexité des conséquences vécues par les jeunes. Celles-ci couvrent un large éventail de sphères développementales (p. ex., sphère émotionnelle, physique, cognitive, comportementale, relationnelle, etc.).
L’article « Les impacts des traumas complexes durant l’enfance », paru dans Éducofamille, explique plus en détails les effets des traumas sur le développement des jeunes, notamment en ce qui a trait aux possibles impacts sur le cerveau.
L’importance des relations
Si les jeunes ayant vécu des traumas interpersonnels ont été blessés au sein même de relations avec des personnes significatives, les relations sont aussi une opportunité de guérison d’une importance capitale.
Certes, les expériences traumatiques peuvent, en quelque sorte, « façonner » le cerveau. Cependant, les expériences positives pourraient aussi le « remodeler ».
C’est le concept de la plasticité cérébrale : la répétition d’expériences positives permettrait de créer de nouvelles connexions et de nouvelles organisations dans les neurones du cerveau. Il y a donc de l’espoir pour les jeunes. Cela est particulièrement vrai durant les périodes de la petite enfance et de la puberté. Celles-ci sont reconnues pour être des périodes « sensibles » du développement. En effet, la capacité du cerveau à se modifier serait plus grande durant ces périodes.
Il existe différentes approches et traitements psychothérapeutiques pouvant venir en aide aux jeunes ayant vécu des traumas. Ces services spécialisés peuvent être tout à fait pertinents pour aider les jeunes à intégrer leurs traumas.
Les adultes qui gravitent autour de ces jeunes (parents, enseignants, éducateurs, intervenants, familles d’accueil, professionnels, etc.) peuvent également jouer un rôle des plus importants en agissant auprès d’eux au quotidien. L’implication de ces adultes pourrait ainsi permettre de réduire les impacts des traumas sur les jeunes et favoriser leur résilience.
Que puis-je faire comme adulte pour aider un jeune ayant vécu des traumas complexes?
Voici quelques stratégies que les adultes peuvent utiliser au quotidien afin de soutenir les jeunes ayant vécu des traumas.
Éduquer les jeunes (et les adultes!) à propos des traumas
Il est important d’éduquer les jeunes (et les adultes!) à propos des traumas et de leurs séquelles possibles, notamment en ce qui a trait au fonctionnement de leur cerveau. Les adultes peuvent alors aider les jeunes à comprendre que les comportements qu’ils présentent ont été adaptatifs et utiles à leur survie dans des contextes abusifs, violents ou négligents. Cela leur permet de reconnaître que les difficultés qu’ils peuvent présenter ne sont pas intrinsèques à eux, mais sont plutôt les conséquences d’événements qui leur ont été imposés. Les jeunes peuvent ainsi remettre en perspective leurs comportements et leurs difficultés, et ce, à la lumière des traumas vécus.
À cet effet, il peut être utile de mieux comprendre les comportements des jeunes ayant vécu des traumas. Vous pouvez ainsi analyser avec les jeunes leurs manifestations comportementales pouvant être liées à des séquelles des traumas vécus.
Répondre au besoin de sécurité
Les jeunes ayant vécu des traumas ont pu vivre dans un environnement menaçant, favorisant un sentiment de danger quasi permanent. En conséquence, il est essentiel d’agir afin que ce sentiment de danger puisse faire tranquillement place à un sentiment de sécurité.
Un sentiment de sécurité passe d’abord par le bannissement de comportements compromettant l’intégrité physique et psychologique des jeunes. La discipline rigide et les punitions devraient plutôt laisser place à l’éducation, à la connexion et à l’accompagnement. Ce faisant, cela permet d’éviter de « retraumatiser » les jeunes.
Il est aussi pertinent de réfléchir à l’impact de l’environnement physique (p. ex., salle de classe) dans lequel les jeunes évoluent au quotidien. En effet, l’aménagement de l’environnement peut exercer une influence sur leur sentiment de sécurité. Pour ce faire, nous pouvons, par exemple:
- Réduire les stimuli et les stresseurs environnementaux (p. ex., bruits dérangeants).
- Offrir un environnement chaleureux (p. ex., lumières apaisantes) et ordonné.
- Assurer le respect de l’intimité des jeunes (p. ex., dans les vestiaires de l’école).
Répondre au besoin de prévisibilité
Les jeunes ayant vécu des traumas vivent souvent dans un environnement chaotique et imprévisible. Un sentiment de prévisibilité peut ainsi leur permettre de regagner du contrôle sur leur environnement. Ainsi, ces jeunes peuvent enfin se « déposer » dans un environnement calme et sûr.
On peut offrir un sentiment de prévisibilité par le biais de routines quotidiennes personnalisées, qui trouveront un équilibre entre structure et flexibilité. Les adultes peuvent mettre ces routines en place en prenant en considération l’opinion et les préférences des jeunes, lorsque cela est possible. Consulter les jeunes permet de répondre à leur besoin d’autonomie en leur donnant l’opportunité de faire des choix.
Les routines ne se limitent pas aux tâches à réaliser ou à l’annonce des activités qui auront lieu au cours d’une journée. En effet, il est aussi essentiel d’aussi introduire des activités agréables routinières permettant la régulation comportementale et émotionnelle des jeunes. Par exemple:
- Séance de respiration au retour de la récréation;
- Massage de la tête avant le coucher;
- Pratique d’un sport au retour de l’école.
Prendre soin de sa propre régulation émotionnelle
Accompagner des jeunes ayant vécu des traumas peut parfois être difficile. En effet, nous pouvons vivre différentes émotions ou sentiments face à leurs manifestations comportementales (p. ex., colère, impuissance, désespoir, incompréhension). Prendre soin de soi est donc essentiel afin de prévenir l’essoufflement et l’épuisement.
La dérégulation de l’adulte peut facilement contribuer à la dérégulation des jeunes. Il est ainsi important pour les adultes de prendre régulièrement le temps d’observer comment il·elle·s se sentent et de trouver des moyens pour favoriser leur régulation. Comme les adultes sont le support sur lequel les jeunes peuvent s’appuyer, leur propre régulation émotionnelle doit être une priorité, afin de pouvoir intervenir de la façon souhaitée. Il existe d’ailleurs un outil d’auto-observation gratuit, que vous pouvez utiliser seul·e, avec un·e partenaire ou avec des collègues.
Conclusion
Les adultes peuvent déployer une multitude d’autres stratégies pour soutenir les jeunes ayant vécu des traumas. Les quatre stratégies proposées peuvent servir de fondements pour favoriser la résilience des jeunes et adapter l’environnement à leurs besoins.
Agir avec empathie et bienveillance, tout en offrant un cadre et des repères clairs, est gage d’espoir. Cela permet aussi de créer des interactions qui seront des occasions d’aider les jeunes à soigner leurs blessures traumatiques et exploiter leur plein potentiel.
À propos de l’autrice

Marie-Ève Grisé Bolduc, M.Sc., est détentrice d’une maîtrise en psychoéducation. Elle a été intervenante en protection de la jeunesse pendant plusieurs années. Elle est présentement coordonnatrice du Centre d’études interdisciplinaires sur le développement de l’enfant et de la famille (CEIDEF), agente de recherche pour le projet STEP et chargée de cours au Département de psychoéducation et de travail social de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).
Marie-Ève offre des conférences dans différents milieux pratiques, tant au Québec qu’en France, sur le sujet des traumas complexes, des approches sensibles aux traumas et du modèle A.R.C. (Attachement, Régulation et Compétences; Blaustein & Kinniburgh, 2018). Elle est également l’autrice du livre “10 questions sur le trauma complexe chez l’enfant et l’adolescent: Mieux comprendre pour mieux intervenir” paru aux Éditions Midi trente, qui offre plusieurs stratégies concrètes aux adultes afin qu’ils puissent accompagner les jeunes ayant vécu des traumas.
En 2021, Marie-Ève a reçu le Prix étudiant du Consortium canadien sur le trauma chez les enfants et les adolescents. Elle est aussi l’autrice ou la co-autrice d’articles scientifiques et de chapitres de livres. Active sur les réseaux sociaux, elle souhaite sensibiliser la population à la question du trauma complexe et des approches sensibles aux traumas.