
La capacité à bien reconnaître les émotions de l’enfant permet aux parents de bien comprendre les besoins de celui-ci, tout en favorisant son développement émotionnel. Toutefois, les parents n’ont pas tous les mêmes habiletés à reconnaître les différentes émotions exprimées par leur enfant. Par exemple, avoir vécu de la maltraitance peut influencer la capacité des parents à reconnaître les émotions de leur enfant. Dans cet article, Maélie Boudreault et Noémie Dicaire, étudiantes au doctorat en psychologie clinique à l’Université du Québec en Outaouais, expliquent comment un vécu de maltraitance influence cette reconnaissance d’émotions.
Qu’est-ce qu’une émotion ?
Une émotion est le résultat d’un processus interne très rapide qui permet de qualifier si une situation est agréable ou désagréable. Il s’agit d’une réaction spontanée que nous avons face à différents éléments dans notre environnement. Dès les premiers mois de vie, les humains détiennent six émotions qui se complexifient en vieillissant : la colère, le dégoût, la surprise, la peur, la tristesse et la joie.
Ces émotions sont d’une grande utilité en raison de leur fonction sociale. Elles agissent et influencent nos relations en nous permettant de communiquer et d’exprimer aux autres comment on se sent. Par exemple, la joie a tendance à rapprocher les gens, alors que la colère porte plutôt à les éloigner.
Les émotions dans un contexte de maltraitance
La maltraitance envers les enfants se divise en deux grandes catégories, soit 1) l’abus et 2) la négligence. La première réfère à des actes commis comme l’abus physique, l’abus émotionnel et l’abus sexuel. La deuxième est associée à des omissions, soit la négligence physique et/ou émotionnelle.
Lorsque les enfants vivent de la maltraitance, leurs réactions spontanées peuvent être affectées. Par exemple, ils peuvent être plus alertes à certaines émotions et/ou moins sensibles à d’autres.
La maltraitance, quelle que soit sa forme, représente un danger pour l’intégrité physique et/ou psychologique, ainsi que pour le développement de l’enfant. En ce sens, un vécu de maltraitance durant l’enfance peut avoir des conséquences importantes à l’âge adulte, notamment lorsque la personne devient parent. Par exemple, la mère qui a subi de la maltraitance à l’enfance peut avoir une difficulté plus grande à percevoir les signaux émotionnels de son propre enfant et à y répondre adéquatement.
Le décodage des émotions représente un défi pour les mères ayant vécu de la maltraitance
Pour un parent, la compréhension des émotions de l’enfant et la sensibilité aux signaux sont primordiales dans l’interaction avec son enfant. En effet, c’est principalement par le biais des émotions que les enfants expriment leurs besoins, d’où l’importance que le parent soit capable d’observer et reconnaître l’émotion que son enfant exprime.
Toutefois, les mères qui ont vécu de la maltraitance durant leur enfance ont plus de difficulté à décoder et à distinguer les émotions exprimées par le visage de leur enfant. La sévérité et le type de maltraitance vécu par la mère ont également une influence sur la capacité à reconnaître les émotions des enfants. Par exemple, certaines émotions seraient plus faciles à identifier pour ces mères, alors que d’autres engendreraient plus de confusion. Notamment, les émotions plus désagréables comme la peur, la tristesse et la colère seraient plus difficiles à identifier. En ce sens, le vécu de maltraitance chez ces mères expliquerait, du moins en partie, les défis qu’elles rencontrent dans la réponse face aux émotions exprimées par leur enfant.
Comment les parents peuvent-ils améliorer leur réaction face aux émotions de leur enfant?
La recherche suggère quatre étapes pour aider le parent à mieux valider les émotions d’un enfant.
1. Remarquer et percevoir que l’enfant est en train de vivre une émotion. Il peut être profitable de prendre un moment pour réfléchir aux signaux communs qui peuvent indiquer que l’enfant vit une émotion, peu importe la nature de celle-ci.
2. Souligner l’émotion qui est vécue par l’enfant. On peut tenter de l’identifier en la nommant, dire une courte phrase ou même poser un geste qui reflète l’état dans lequel se trouve l’enfant. Par exemple, on peut dire « On dirait que tu te sens triste, est-ce le cas ? ».
3. Vérifier si l’interprétation de l’émotion est juste. On peut vérifier, à partir de la rétroaction de l’enfant, si l’émotion que nous tentons de souligner semble concorder avec ce qu’il vit. Si on remarque que nous n’avons pas tout à fait la bonne émotion, il ne suffit que de réessayer ou de se corriger.
4. Garder un esprit de non-jugement. Il faut se rappeler que les émotions sont normales et bienvenues, autant les plus positives que les plus négatives. Il faut aller valider l’émotion que vit l’enfant, sans chercher à l’influencer ou à la changer.
Même s’il est parfois difficile de mettre le doigt sur ce que l’enfant ressent, on cherche, par ces étapes à agir comme un « coach » d’émotions pour lui. Cette attitude peut mener à plusieurs retombées positives. Lorsque les parents adoptent une position de « coach » face aux émotions de l’enfant, celui-ci développe moins d’instabilité émotionnelle et de problèmes de comportements internalisés comme l’anxiété ou la dépression.
Il faut donc oser parler des émotions avec l’enfant et tenter de les analyser du mieux possible. Lorsqu’il vit une émotion, il faut explorer la situation avec lui, même si cette émotion n’est pas tout à fait claire et peut sembler difficile à aborder. Certaines questions, telles que : Comment t’es-tu senti? Peux-tu penser à des façons de rendre la situation plus facile?, peuvent être très utiles pour vous orienter dans cette vague d’émotions!
Références
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