
Des parents plurilingues et/ou de langues maternelles différentes se demandent parfois comment gérer leur éventail langagier familial à la maison. Il y aurait presque autant de stratégies langagières que de compositions linguistiques familiales. Quelle·s stratégie·s adopter comme parents lorsqu’on veut favoriser la transmission de notre langue d’héritage à nos enfants ? Dans cet article, Marie-Hélène Marquis, doctorante en éducation en milieu francophone minoritaire, fournit des informations sur diverses stratégies de gestion des langues possibles. Certaines d’entre elles permettraient à l’enfant de développer un rapport positif avec ses langues d’héritage, en plus de favoriser l’usage de toutes les langues de son répertoire.
Qu’est-ce qu’une stratégie langagière familiale ?
Des familles dont les parents sont de langues maternelles différentes (exogames) existent depuis la nuit des temps. Dans certaines familles, les parents partagent la même langue maternelle, mais celle-ci est différente de la langue principalement parlée dans leur milieu de vie. Chez d’autres, plusieurs langues se superposent et s’entrecroisent lors des discussions familiales. Comment gérer cet éventail langagier à la maison dans le respect du répertoire langagier de chacun ? À travers leurs efforts pour encourager, modifier ou parfois contrôler les pratiques langagières des membres de la famille, les parents auront recours à différentes méthodes. C’est ce que l’on appelle des stratégies langagières familiales.
Différentes stratégies langagières familiales
1. Un parent, une langue
La stratégie langagière familiale la plus connue est sans doute celle où chaque parent parle sa langue maternelle avec l’enfant. Cette stratégie a longtemps été LA stratégie préconisée par les chercheur·se·s du domaine pour éviter la confusion ou les interférences entre les langues. Cependant, il n’existerait toujours pas de preuves psycholinguistiques solides de l’effet de cette stratégie sur le développement bilingue des enfants.
De plus, cette stratégie est difficile à maintenir au quotidient puisqu’elle nécessite des efforts constants de la part des parents. Elle serait donc davantage irréaliste à long terme. Cette stratégie peut être encore plus difficile lorsque les langues maternelles des parents ne sont pas les mêmes que celles de leur milieu de vie.
2. Modèle mixte
Cette stratégie est utilisée lorsque l’un des deux parents parle uniquement la langue minoritaire et l’autre, les langues majoritaire et minoritaire de la famille. Ainsi, un parent alterne d’une langue à l’autre avec les membres de la famille. L’autre parent parlerait uniquement dans la langue minoritaire, du moins dans ses interactions avec les enfants.
3. Langue minoritaire à la maison
Pour cette stratégie, les deux parents parlent une même langue minoritaire à la maison. Ils parlent cette langue entre eux, ainsi qu’avec leurs enfants au sein du foyer familial. Les membres de la famille peuvent parler la langue majoritaire dans la communauté, avec leurs amis ou même entre conjoints. Néanmoins, la langue minoritaire est priorisée en présence des enfants à la maison.
Parler la langue minoritaire entre parents peut être bénéfique pour l’apprentissage de la langue chez l’enfant. En effet, parler une langue minoritaire entre adultes permet d’exposer les enfants à un vocabulaire et une structure de phrases plus complexe que lorsqu’ils s’adressent aux enfants. Du point de vue de la socialisation familiale, il s’agit d’une opportunité de modelage accru pouvant enrichir le vocabulaire des enfants dans cette langue.
Des suggestions selon la stratégie choisie
Lorsqu’on adopte la stratégie un parent, une langue, il est recommandé que l’enfant soit immergé dans la langue minoritaire à l’école et/ou dans sa communauté. Ainsi, on peut maximiser les chances qu’il·elle en vienne à parler activement la langue minoritaire de la famille.
Si on préconise la stratégie de la langue minoritaire à la maison ou bien le modèle mixte, les enfants seraient plus susceptibles de devenir activement bilingues. En effet, ces stratégies maximisent l’usage des langue minoritaires au quotidien.
Les préférences de l’enfant
Il est toutefois important de noter que les préférences langagières des enfants pourraient différer de celles de leurs parents. Un enfant pourrait refuser de répondre dans la langue utilisée par son parent. Ce phénomène est plus courant si la langue est différente de celle de son milieu de garde, école ou communauté.
Il peut arriver que les frères et sœurs en âge scolaire refusent d’utiliser une langue minoritaire à la maison. Ce choix aurait ainsi un impact sur les interactions familiales et un effet plus général sur la culture langagière familiale.
Au fil du temps, les langues d’interactions des enfants avec les différentes personnes de leur milieu peuvent devenir des habitudes langagières. Ainsi, moins on parle à l’enfant dans une langue, moins il·elle a la possibilité de la développer.
Comment répondre à son enfant qui nous parle dans une autre langue que celle qu’on voudrait?
La chercheuse Elizabeth Lanza a mené une étude auprès de familles américano-norvégiennes afin de mieux comprendre leurs stratégies langagières. Elle a identifié cinq stratégies pour répondre à son enfant parlant dans une autre langue. Ces stratégies varient de plus rigides à plus souples.
- La saisie minimale. L’adulte déclare qu’il ne comprend pas la langue à laquelle l’enfant s’adresse à lui. Cette option devient difficile à adopter une fois que l’enfant réalise que le parent parle et comprend cette langue.
- La stratégie de supposition exprimée. L’adulte pose une question dans la langue voulue par le parent.
- La répétition par l’adulte. L’adulte traduit et répète les propos de l’enfant dans l’autre langue.
- La stratégie aller de l’avant. L’adulte n’intervient pas et laisse la conversation suivre son cours dans la langue utilisée par l’enfant.
- L’alternance codique par l’adulte. L’adulte utilise deux langues ou plus dans sa conversation avec l’enfant.
Comment développer un rapport positif avec sa·ses langue·s d’héritage ?
Il existe un débat à savoir si un parent devrait interagir avec son enfant bilingue dans une seule langue, afin d’augmenter son exposition à la langue minoritaire (Unsworth, 2016), ou s’il devrait utiliser l’ensemble des langues disponibles dans son répertoire. De récentes recherches suggèrent que des stratégies langagières familiales pourraient favoriser l’usage de toutes les langues du répertoire de l’enfant.
Il s’agirait notamment des pratiques translangagières et de l’approche happylingue. Ces approches suggèrent aux parents d’adopter une approche plus flexible de la parentalité plurilingue des enfants. Le mélange des langues y serait dès lors perçu de manière positive. Ainsi, l’enfant peut s’exprimer librement en utilisant l’ensemble de son répertoire linguistique lors des discussions familiales, sans tenir compte des frontières invisibles entre les langues.
Conclusion
Les stratégies langagières choisies par les parents peuvent avoir un impact majeur sur le développement langagier de leurs enfants. Ces stratégies peuvent aussi influencer les langues que les enfants choisiront d’utiliser en grandissant.
Ainsi, il est essentiel de construire un rapport positif avec les langues et ce, dès le plus jeune âge. Un nourrisson qui cultiverait des relations positives et valorisantes avec les adultes signifiants qui composent son univers, serait plus disposé à développer ses habiletés langagières et ce, dans chacune des langues auxquelles il serait exposé régulièrement. Au contraire, une attitude coercitive de la part de parents autoritaires serait inefficace. En effet, cette attitude peut faire taire les enfants au lieu d’encourager l’usage d’une langue minoritaire. Il est donc important que les personnes qui constituent le réseau d’appartenance du nourrisson prennent conscience de leurs actions et de l’influence qu’elles pourraient exercer sur le parcours langagier du jeune enfant.

À propos de l’autrice
Marie-Hélène Marquis, M. Éd., est doctorante en éducation à l’Université de Moncton (Nouveau-Brunswick) et mère de trois enfants au sein d’une famille biculturelle. Elle est membre de l’Équipe de recherche Qualité des contextes éducatifs de la petite enfance et du Regroupement pour l’étude de l’éducation francophone en milieu minoritaire. Ses travaux de recherche portent sur le vécu et les choix langagiers de parents d’enfants de moins de 5 ans en contexte multilingue anglodominant. Elle s’intéresse également aux transitions de l’enfant du foyer familial vers les services de garde, puis à l’accueil et à l’accompagnement des familles dans les divers contextes éducatifs de l’enfance et de la petite enfance. Par ailleurs, en tant que chargée de cours, elle contribue à la formation initiale des enseignants en éducation préscolaire et enseignement primaire, puis en enseignement secondaire.