
Les études au sujet de la langue inclusive suggèrent que les enfants y sont sensibles, et que son utilisation agit positivement sur leurs représentations mentales et leur sentiment d’autoefficacité. Dans cet article, Marion Deslandes Martineau, doctorante en éducation à l’UQAM, définit la langue inclusive et présente deux études qui ont examiné son effet auprès des enfants et des adolescents et adolescentes. Elle propose également quelques stratégies pour les parents qui souhaiteraient s’exprimer de façon plus inclusive au quotidien.
La langue inclusive, c’est quoi ?
Il n’est pas facile de définir la langue inclusive : « Le terme peut avoir un sens très large et peut recouvrir une grande diversité de techniques, plus ou moins stabilisées, utilisées pour construire un langage non discriminant par rapport aux personnes de genre féminin ou plus largement, par rapport aux personnes non binaires. »
Lorsqu’on parle de langage discriminant, on fait référence à un phénomène que l’on constate dans les langues genrées. Par exemple, le français présente un genre masculin et un genre féminin. Dans ces langues genrées, et plus précisément dans les appellations de personnes (noms, adjectifs, pronoms, etc.), les genres féminin et masculin n’ont pas le même « poids ». D’un côté, on utilise le genre féminin pour désigner spécifiquement le féminin. De l’autre, on utilise le genre masculin pour désigner spécifiquement le masculin… mais aussi pour désigner les deux genres de façon générique (par exemple : « l’homme et la femme sont beaux ») ou pour représenter le « neutre » (par exemple : « chaque voyageur doit s’enregistrer individuellement au comptoir »).
L’expression « asymétrie linguistique » évoque cette prédominance du genre masculin sur le genre féminin au sein de la langue. Il en découle une asymétrie des représentations mentales (ce que l’on se représente dans notre tête en lisant ou en entendant un discours). Ce phénomène survient puisque l’on tend à associer, dans la réalité, le genre grammatical masculin à l’homme et le genre grammatical féminin à la femme.
La langue inclusive se veut en quelque sorte une réponse à cette asymétrie. Le français inclusif s’écarte du français standard basé sur la notion de genre, et propose des techniques visant à inclure et représenter tous les genres dans la langue et dans la pensée.
Quels sont les effets de la langue inclusive sur les enfants ?
De nombreuses recherches sur les effets de l’utilisation de la langue inclusive ont été menées depuis une cinquantaine d’années. Elles tendent à montrer que l’utilisation du masculin (le directeur), plutôt que de formes plus inclusives comme les doublets (le directeur ou la directrice) ou les formes neutres (la direction) provoque des représentations mentales en faveur du masculin. Cela veut dire qu’en les lisant ou en les entendant, on s’imagine plus d’hommes que de femmes.
Dans les prochains paragraphes, nous présenterons deux recherches ayant étudié les effets de l’utilisation de formes inclusives spécifiquement sur les jeunes. Dans le cadre de ces recherches, des jeunes ont lu ou écouté des consignes, questions ou textes contenant des formulations inclusives ou non. Puis, on a observé l’effet sur leurs représentations mentales et leur sentiment d’autoefficacité (ce qu’ils et elles croient être capables d’accomplir dans un domaine donné).
Au primaire : « Dessine un scientifique. »
Depuis les années 1950, les résultats du test bien connu couramment appelé The Draw-a-Scientist Test sont restés stables : En résumé, lorsqu’on demande à des gens d’âges, d’origines et de genres variés de dessiner un scientifique, la représentation stéréotypée est celle d’un homme caucasien aux cheveux blancs en blouse blanche (pensez à Einstein). En 2019, Ferrière et Morin-Messabel ont mené une étude semblable auprès des élèves du primaire.
Quand on leur demande de dessiner « un scientifique » (au masculin à priori neutre), presque 73% des filles et plus de 95% des garçons dessinent un homme. Le pourcentage de femmes scientifiques représentées augmente avec la formulation neutre « personne scientifique ». Les effets se font particulièrement ressentir chez les filles : seulement 27% d’entre elles dessinaient une femme pour « un scientifique », mais ce chiffre monte à 50% pour « une personne scientifique ». Fait intéressant, quoiqu’un peu troublant, à la consigne « dessine une scientifique », 52,4% des garçons ont tout de même dessiné un homme, comme si cette formulation au féminin était une transgression trop complexe des stéréotypes de genre (les métiers scientifiques étant traditionnellement masculins), qu’ils n’arrivaient pas à représenter.
Au secondaire : « Aurais-tu confiance en toi pour réussir des études pour devenir chirurgien? »
Dans cette étude de Chatard-Pannetier, Guimont et Martinot (2005), des jeunes du secondaire ont eu à évaluer leur degré de confiance à étudier pour pratiquer dix métiers. Ces métiers étaient représentatifs de différents statuts sociaux, et associés davantage aux hommes ou aux femmes. Ce degré de confiance indique leur sentiment d’autoefficacité, c’est-à-dire ce qu’ils et elles croient être capables de réaliser dans ce domaine.
Les résultats ont montré qu’utiliser les doublets (masculin et féminin) pour désigner des métiers augmente le sentiment d’autoefficacité des filles et des garçons par rapport aux professions de haut statut social (par exemple : chirurgien ou chirurgienne). Les filles et les garçons se sentent généralement plus confiants par rapport à une profession stéréotypique de leur propre genre, mais l’utilisation de doublets les rend plus confiants par rapport aux professions « de l’autre genre ». Par exemple, les filles se sentent plus confiantes par rapport aux professions « masculines » comme l’informatique en lisant « informaticien ou informaticienne » (plutôt que seulement « informaticien »). Les garçons, eux, se sentent plus confiants par rapport aux professions « féminines » comme les soins infirmiers en lisant « infirmier ou infirmière » (plutôt que seulement « infirmier »).
Autrement dit, l’utilisation de formulations plus inclusives comme les doublets contribuerait à contrebalancer l’effet des représentations typiquement masculines ou féminines associées à certains métiers.
En résumé
Ainsi, ces recherches suggèrent que l’utilisation du masculin, plutôt que de formulations plus inclusives, provoque des représentations mentales plus masculines que féminines. En d’autres termes, même si, en théorie, « les sportifs », « les docteurs » et « les coiffeurs » pourraient être à la fois des hommes, des femmes et des personnes non binaires, ces formulations nous poussent à imaginer davantage d’hommes sportifs, d’hommes docteurs et d’hommes coiffeurs.
Chez les enfants, cela peut se traduire par un sentiment d’autoefficacité moindre à l’égard de certaines professions. En effet, il est difficile de se projeter dans certains métiers quand leur appellation au féminin (ou au masculin) est occultée, et encore plus lorsqu’il s’agit d’un métier stéréotypé. Par exemple, si l’on utilise toujours « un chirurgien », il est plus difficile pour les enfants de s’imaginer des femmes chirurgiennes. Il est encore plus difficile pour les filles de s’imaginer elles-mêmes exercer cette profession.
Comment parler et écrire de manière plus inclusive ?
Il existe des centaines de guides sur la langue inclusive : difficile de s’y retrouver! Nous présentons ici les trois principales façons de rendre la langue plus inclusive, qui se retrouvent dans la majorité des guides. Mentionnons que l’Office québécois de la langue française (OQLF) a produit plusieurs articles à ce sujet, ainsi qu’une autoformation très claire et concise, en plus d’être adaptée au contexte québécois.
Les stratégies
1. La formulation neutre
La formulation neutre (ou épicène) est une stratégie qui privilégie les formes qui ne changent pas selon le genre, comme :
- Les noms neutres ou collectifs : la direction, le personnel enseignant, plutôt que le directeur, les enseignants
- Les noms et adjectifs épicènes : les spécialistes de l’informatique, plutôt que les informaticiens
- Les phrases neutres : Prière de vous présenter à l’enregistrement. » plutôt que « Les voyageurs doivent se présenter à l’enregistrement. »
2. Les doublets
L’utilisation des doublets complets ou abrégés est une stratégie qui consiste en l’utilisation des deux formes, masculine et féminine, l’une à la suite de l’autre dans un ordre libre.
- Les doublets complets : les enseignantes et les enseignants, les voyageurs et voyageuses
- Les doublets abrégés (le suffixe féminin est généralement indiqué à la suite du suffixe masculin et séparé par un signe de ponctuation) : les enseignant.e.s, les enseignant[e]s, les voyageur/euses, les voyageur·euse·s
Pour faciliter la lecture, à l’écrit, on privilégie les doublets complets. On réserve les doublets abrégés aux textes où l’espace est restreint (affiches, présentations Powerpoint, etc.). Pour lire à l’oral des doublets abrégés, on les lit comme s’ils étaient complets : « les adolescent·es » se lit donc « les adolescents et les adolescentes ».
3. Les néologismes
Finalement, les néologismes sont des nouveaux mots épicènes ou de genre neutre. Ils englobent à la fois le masculin et le féminin, tout en ayant une valeur neutre. Cela permet de désigner aussi les personnes non binaires ou dont on ne connait pas le genre, ou encore un groupe mixte.
- Des mots-valises : : iel, celleux, toustes
- Des nouvelles suggestions de féminisation ou de neutralisation du genre de mots existants : matrimoine plutôt que patrimoine, locutaire plutôt que locuteur ou locutrice
La majorité des guides de langue inclusive recommandent d’utiliser en priorité la formulation neutre et les doublets.
L’impact sur les accords
Concernant les accords, les guides de langue inclusive recommandent généralement de conserver l’accord au masculin lorsque l’on fait référence à un nom ou pronom neutre (dont on ne connait pas le genre, par exemple : spécialiste accrédité) ou à des pluriels mixtes (faisant référence au masculin et au féminin, par exemple : les enseignantes et les enseignants qualifiés).
Sachant que cela peut avoir des effets sur les représentations mentales des enfants, vous voudrez peut-être essayer de rendre vos formulations plus inclusives.
Voici quelques pistes concrètes pour le faire à la maison:
Au lieu de… | Dire plutôt : |
Il faut vraiment que j’aille chez le coiffeur! | Il faut vraiment que j’aille au salon de coiffure! |
As-tu demandé la permission à la maman de Jérémie? | As-tu demandé la permission aux parents de Jérémie? |
Wow, les pompiers sont très courageux! | Wow, les pompiers et les pompières ont beaucoup de courage! |
Regarde-moi ce fouillis… ça nous prend une femme de ménage. | Ça nous prend de l’aide ménagère / une personne de ménage. |
Se faire convoquer chez le directeur, ce n’est jamais trop bon signe. | Se faire convoquer chez la direction, ce n’est jamais trop bon signe. |
Dans ta nouvelle école, tu vas vite te faire un meilleur ami! | Dans ta nouvelle école, tu vas vite te faire un meilleur ami ou une meilleure amie! (À l’oral, puisque les « e muets » ne s’entendent pas, on peut simplement dire : un ou une meilleur-e ami-e!). |
Les enseignants ont des conditions de travail difficiles. | Les enseignantes et les enseignants ont / le personnel enseignant a des conditions de travail difficiles. |
Tous les Québécois sont concernés. | Tout le Québec est concerné. / Tous les Québécois et Québécoises sont concernés. |
Quand tu seras majeure, toi aussi tu recevras ta carte d’électrice. | Quand tu auras 18 ans, toi aussi tu recevras ta carte électorale. |
Les clients des restaurants n’aiment généralement pas trop les enfants qui font des crises de bacon. | La clientèle des restaurants n’aime généralement pas trop les enfants qui font des crises de bacon. |
On ne peut pas se baigner s’il n’y a pas de sauveteurs. | On ne peut pas se baigner s’il n’y a pas d’équipe de sauvetage / de secours. |
Est-ce qu’on pourrait voir un responsable? | Est-ce qu’on pourrait voir un ou une responsable? |
Qui est l’auteur de ce livre? | Qui a écrit ce livre? |
Cela prend certes un peu d’entrainement, mais il est beaucoup plus simple qu’on ne pourrait le croire de s’exprimer de façon plus inclusive en français. Si cela ne demande que peu d’efforts et qu’on peut aider nos enfants à se représenter un monde plus paritaire, ou à se sentir assez en confiance pour se projeter dans toutes sortes de métiers, pourquoi pas?
À propos de l’autrice

Marion Deslandes Martineau est doctorante en éducation à l’Université du Québec à Montréal et étudiante-chercheuse à la Chaire UNESCO de développement curriculaire. Après une maitrise en didactique avec mémoire portant sur l’environnement socioéducatif à l’école alternative et un baccalauréat en enseignement du français au secondaire, ses recherches se concentrent aujourd’hui sur l’utilisation et l’enseignement de l’écriture inclusive à l’école.