
Cet article s’inscrit dans une série spéciale présentant des études innovatrices cherchant à mieux comprendre le développement de l’enfant. Ces études ont été présentées de façon préliminaire à la conférence du Congrès international pour l’étude des enfants (International Congress of Infant Studies) qui a eu lieu de façon virtuelle en juillet 2020.
Dans le troisième article de cette série, nous vous présentons deux études portant sur le bilinguisme des jeunes enfants (Brouillard et collègues ; Sander-Montant et collègues, 2020). Ces études ont été réalisées par les membres du Laboratoire de recherche sur l’enfance à l’Université Concordia (Montréal). Ce sujet est pertinent pour bien des familles étant donné l’avancée du bilinguisme partout à travers le monde.
Le bilinguisme dans le monde
Pourquoi parler de bilinguisme? Simplement parce qu’il s’agit d’un phénomène de plus en plus répandu à travers le monde. On estime que plus de la moitié des humains parle deux langues. Au Canada, 35 % de la population est bilingue. Dans les grandes villes comme Montréal, Toronto et Vancouver, jusqu’à 50 % des enfants sont bilingues. Aux États-Unis, 23 % de la population est bilingue. Dans certains États comme la Californie, les estimations prédisent que plus de 50 % des enfants ont une langue maternelle autre que l’anglais.
À la lecture de ces chiffres, il n’est pas surprenant qu’autant de parents désirent enseigner deux langues ou plus à leur enfant dès la naissance. Après tout, il est plus facile d’apprendre une langue quand on est jeune que de devoir suivre des cours à l’âge adulte.
Comment s’assurer que les enfants apprennent les deux langues?
Cette question, qui est parmi les plus fréquemment posées par les parents désirant élever un enfant bilingue, a été étudiée par Sander-Montant et collègues (2020).
L’étude impliquait 151 parents de Montréal ayant un enfant âgé de 8 à 19 mois qui apprend le français et l’anglais. Les parents ont rempli une série de questionnaires quant à l’utilisation des deux langues dans leur foyer.
Les chercheuses ont par la suite quantifié différentes stratégies que les parents utilisent pour exposer l’enfant aux deux langues. Ces stratégies affectent l’exposition aux langues, et ainsi l’apprentissage de celles-ci. Idéalement, les enfants seraient exposés à chacune des langues 50 % du temps afin d’apprendre les deux langues de façon optimale.
Les parents utilisaient l’une de quatre stratégies :
- « Deux parents bilingues » : Les deux parents parlent régulièrement dans les deux langues (p. ex., maman et papa parlent en français et en anglais).
- « Un parent bilingue » : un parent parle régulièrement dans les deux langues tandis que l’autre ne parle qu’une seule langue (p. ex., maman parle en anglais et en français et papa parle en anglais).
- « Un parent, une langue » : Un parent parle uniquement dans une langue et l’autre parent parle uniquement dans l’autre langue (p. ex., maman parle en français et papa parle en anglais).
- « Un parent, une langue, mais de façon flexible » : Un parent parle majoritairement dans une langue et l’autre parent parle majoritairement dans l’autre (p.ex., maman parle surtout en français, mais parfois en anglais tandis que papa parle surtout en anglais, parfois en français).
Leurs résultats démontrent que près de la moitié (48 %) des familles utilisaient la stratégie « Deux parents bilingues ». De plus, 34 % utilisaient la stratégie « Un parent, une langue ».
Les chercheuses ont par la suite examiné l’exposition des enfants au français et à l’anglais comparativement aux différentes stratégies.
Pour chacune des stratégies, il y avait des enfants qui étaient exposés aux deux langues de façon presque égale. Ce résultat signifie qu’une stratégie n’est pas fondamentalement meilleure que l’autre. Ainsi, il est possible d’atteindre un équilibre entre les deux langues, peu importe la stratégie adoptée.
Cependant, il y avait plus d’enfants qui étaient exposés aux deux langues de façon presque égale dans les configurations « Un parent, une langue » et « Un parent, une langue, mais de façon flexible ». Ce résultat suggère qu’il est important d’être minutieux au quotidien afin de s’assurer que l’enfant soit exposé aux deux langues. Il faut que les parents soient conscients de leur utilisation des deux langues. Les parents devraient essayer d’atteindre un équilibre entre les deux langues, peu importe la stratégie adoptée.
Il faut également noter que d’autres facteurs entrent en ligne de compte en ce qui concerne le bilinguisme. Par exemple, la qualité du langage auquel les enfants sont exposés et les langues parlées par les autres donneurs de soins (p. ex., la langue parlée à la garderie ou par les grands-parents) peuvent avoir un impact sur l’apprentissage des langues.
Quelles sont les inquiétudes des parents bilingues?
Brouillard et ses collègues (2020) se sont penchés sur cette question. Ils ont fait des entrevues avec 27 parents d’enfants bilingues habitant à Montréal afin de comprendre comment ils se sentent par rapport au fait d’élever leur enfant de façon bilingue. La moitié d’entre eux parlait l’anglais et le français, tandis que l’autre moitié parlait l’anglais et/ou français ainsi qu’une autre langue (p. ex., le grec pour les personnes ayant un héritage grec).
Ils ont trouvé que tous les parents estiment qu’il y a un nombre insuffisant de ressources pour les appuyer dans leur désir d’élever des enfants bilingues, autant au niveau des jouets et des livres bilingues qu’au niveau de l’information disponible.
Aucune autre grande inquiétude n’a été soulevée par les parents élevant un enfant bilingue français-anglais.
Cependant, les parents élevant un enfant bilingue français et/ou anglais et une autre langue présentaient plusieurs inquiétudes. En effet, ils avaient peur que l’enfant n’apprenne pas l’autre langue ou encore refuse de la parler plus tard, ce qui entraînerait des conflits familiaux. Ces parents ont également mentionné avoir peur que l’enfant ne soit pas assez exposé à la seconde langue et qu’il soit à risque de retards de langage.
Il semble donc que le niveau de soutien dans la communauté, ou au moins au niveau de la famille élargie, soit un facteur important lorsque les parents élèvent un enfant de façon bilingue. Être entouré d’autres personnes qui peuvent parler la seconde langue à l’enfant permettra d’avoir plus d’exposition à la langue et augmentera les chances que l’enfant soit capable de la parler plus tard.
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Sources
Ballinger S., Brouillard, M., Ahooja, A., Kircher, R., Polka, L., & Byers-Heinlein, K. (2020) Intersections of official and family language policy in Quebec, Journal of Multilingual and Multicultural Development, https://doi.org/10.1080/01434632.2020.1752699
Brouillard, M., Ballinger, S., Ahooja, A., Kircher, R., Polka, L., & Byers-Heinlein, K. (2020, juillet). Raising a bilingual infant: Parents’ beliefs and concerns. Affiche présentée à la conférence de l’International Congress of Infant Studies, Conférence virtuelle.
Byers-Heinlein, K., & Lew-Williams, C. (2013). Bilingualism in the early years: What does science say?, LEARNing Landscapes, 7(1), 95-112. https://doi.org/10.36510/learnland.v7i1.632
Sander-Montant, Di Fiumeri, E., Necsa, B., & Byers-Heinlein, K. (2020, juillet). Do all roads lead to bilingualism? Bilingual families language exposure configurations. Affiche présentée à la conférence de l’International Congress of Infant Studies, Conférence virtuelle.