Comment est-ce que les enfants évaluent les personnes qui parlent avec des accents et dialectes différents ?

Au sein d'une même famille, un enfant peut entendre différents accents et dialectes.
Au sein d’une même famille, un enfant peut entendre différents accents et dialectes.

De nombreuses personnes à travers le monde parlent le français. Chacune de ces personnes a une manière différente de parler la langue. Cet article, rédigé par Tracie Pospisil et Kristan Marchak de l’Université de l’Alberta – Campus Saint-Jean, examine comment les accents et les dialectes influencent les croyances et les comportements des enfants.

Dès le début d’une conversation, nous nous formons des impressions sur l’autre personne en fonction de sa façon de parler. Cette personne peut employer certains mots, prononcer des sons d’une manière particulière, et même avoir une façon distincte de former des phrases. Par exemple, une personne de France appellera « un bleuet », une myrtille, alors qu’une personne du Canada ne le fera pas. Certains aspects du discours d’une personne sont spécifiques à cette personne. D’autres sont plutôt partagés par un groupe de personnes. Dans cet article, nous nous concentrerons sur les variations qui sont partagées entre les groupes. Ces variations incluent les accents et les dialectes. En effet, ces variations donnent aux auditeurs.trices une idée des caractéristiques de leur interlocuteur.trice. Par exemple, on peut avoir une idée de son âge, son ethnicité, sa région d’origine et même ses traits de personnalité.

Quelques définitions sur les accents et les dialectes

Qu’est-ce qu’un accent ?
Différences dans la prononciation, le choix des mots et la structure des phrases entre les locuteurs.trices natifs et non-natifs d’une langue.
 
Exemple : En tant que diplômées de l’immersion française, les autrices de cet article parlent toutes les deux le français avec un accent non natif.
 
Qu’est-ce qu’un dialecte ? Différences dans la prononciation, le choix des mots et la structure des phrases entre des locuteurs.trices natifs d’une langue provenant de différents endroits (au sein d’un même pays ou de pays différents).
 
Exemple : Différences dans la façon de parler le français d’une personne qui vient de Paris par rapport à une personne qui vient du Québec.
 
Qu’est-ce qu’une attitude ? Une évaluation positive ou négative d’une personne particulière basée sur son accent ou son dialecte.
 
Exemple : L’attente qu’une personne qui parle le français parisien soit cultivée ou qu’une personne qui parle le français québécois soit amicale.

Les enfants perçoivent les variations d’accents ou de dialectes

Les enfants ont des attitudes à l’égard de certains groupes de locuteurs.trices en fonction de leur accent ou de leur dialecte. Ces attitudes façonnent le comportement des enfants dès la petite enfance. En effet, dès l’âge de 5 mois, les bébés ont une attitude positive envers les locuteurs.trices natifs. Ils préfèrent regarder les personnes qui parlent avec le même accent que leurs parents (Kinzler et al., 2007). En revanche, au cours de leur première année de vie, les nourrissons ne manifestent pas encore d’attitudes négatives à l’égard de ceux qui parlent avec un accent différent (Pun et al., 2018). Ces résultats suggèrent que les jeunes enfants sont peut-être plus ouverts que les adultes à l’interaction avec des personnes issues de milieux linguistiques différents.

Notre équipe de recherche, le Centre de Recherche sur le Développement Cognitif, étudie les attitudes des enfants envers les locuteurs/trices de différents dialectes français couramment parlés en Alberta. Dans les régions francophones minoritaires du Canada, comme l’Alberta, il y a une grande diversité dans la communauté en raison de la migration d’autres endroits au Canada et de l’immigration de pays francophones à l’étranger (Government of Alberta, 2019; Statistics Canada, 2019). Par conséquent, les enfants entendent fréquemment différents accents et dialectes français. Ainsi, il est important de prendre en compte l’influence des attitudes que les enfants peuvent avoir envers différentes personnes dans leur communauté.

Comment les enfants interagissent-ils avec des personnes ayant des accents/dialectes différents ?

Ils/elles souhaitent être ami.e.s avec des personnes ayant le même accent

Les personnes utilisent les accents et dialectes comme un indice pour déterminer si un locuteur.trice appartient ou non à leur groupe social, et par extension, s’ils veulent être amis avec cette personne. Par exemple, des enfants de 3 ans choisissent d’être ami.e avec des personnes ayant le même accent qu’eux (Creel, 2017). Cette tendance se poursuit tout au long de l’enfance. En effet, les enfants de 10 ans s’attendent même à ce que les autres enfants choisissent leurs ami.e.s en fonction de l’accent d’une personne (Arredondo & Gelman, 2017). De façon intéressante, cet effet de l’accent a augmenté avec l’âge, devenant plus fort à l’adolescence. De plus, l’accent s’est avéré être un facteur plus important que la couleur de la peau lors des jugements d’amitié chez les enfants (Kinzler et al., 2009).

Ils/elles préfèrent partager avec des personnes qui ont le même accent

Lorsque les enfants doivent décider avec qui partager une ressource (p. ex., des autocollants), ils choisissent de partager avec une personne ayant le même accent de l’âge de 2.5 ans (Kinzler et al., 2012). Les enfants âgés de 9 à 10 ans choisissent même de partager avec une personne ayant le même accent lorsqu’on leur donne le choix entre une personne de même race/accent différent et une personne de race différente/même accent (Spence & Imuta, 2020). Encore une fois, l’accent s’est avéré un facteur plus important que la couleur de la peau.

Ils/elles choisissent d’apprendre auprès de personnes ayant le même accent

En particulier, les enfants considèrent les personnes ayant un accent natif comme plus intelligentes que celles ayant un accent non natif (Kinzler et al., 2013). Par conséquent, les enfants préfèrent apprendre des locuteurs/trices natifs. À titre d’exemple, dans une étude, des chercheurs ont présenté un objet non familier à des enfants de 4 et 5 ans.  Ensuite, les enfants ont eu à choisir une personne à qui poser des questions sur l’utilisation de l’objet – soit une personne ayant le même accent qu’eux, soit une personne ayant un accent différent. Les participant.e.s ont choisi la personne avec le même accent (Kinzler et al., 2010). Ces résultats suggèrent que les enfants considèrent certaines personnes comme de « meilleurs » enseignant.e.s, ce qui peut avoir un impact sur leur volonté d’apprendre de personnes ayant des accents/dialectes différents.

Trucs pour les parents

Nous présentons ici quelques conseils aux parents pour encourager leurs enfants à s’ouvrir à des interlocuteurs.trices ayant des accents et des dialectes différents.

  • Réfléchissez à vos propres attitudes à l’égard des personnes qui ont des accents ou des dialectes différents. Les enfants forgent leurs attitudes en fonction des informations qu’ils reçoivent des adultes et des médias. Ainsi, vous pouvez transmettre certaines de vos attitudes à votre enfant sans même vous en rendre compte !
  • Présentez aux enfants un environnement où ils entendent de nombreuses voix françaises. Dans les médias, il est courant de n’entendre que certains dialectes du français (français de France et français du Québec). Pourtant, il est important d’exposer votre enfant à des personnes ayant d’autres accents/dialectes français. Pour vous aider à faire vivre à vos enfants l’expérience d’écouter différents locuteurs.trices qui parlent le français, le Centre de Recherche sur le Développement Cognitif a créé une collection d’histoires lues par des locuteurs.trices provenant de différents endroits. Vous pouvez la trouver ici.
À propos des autrices
À propos des autrices

Tracie Pospisil est une étudiante de premier cycle en psychologie à l’Université de l’Alberta, Campus Saint-Jean.  Ses intérêts de recherche portent sur le développement de la parole et du langage, la (socio)linguistique et le bilinguisme. Au cours des deux dernières années, elle a mené des recherches sous la supervision du Dre. Marchak au Centre de Recherche sur le Développement Cognitif (CROC LAB).

À propos des autrices
À propos des autrices

Dre. Kristan Marchak est professeure adjointe en psychologie à la Faculté Saint-Jean de l’Université de l’Alberta. Elle a obtenu son doctorat à l’Université de la Colombie-Britannique et est diplômée d’un programme d’immersion française. Ses intérêts de recherche portent sur le développement langagier et cognitif chez les jeunes enfants. Les recherches de Dre. Marchak ont été financées par des subventions du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

Laisser un commentaire