
Lors de l’adolescence, plusieurs adolescentes commencent à prendre la pilule contraceptive. Malgré son utilisation répandue, beaucoup de parents et d’adolescentes ne connaissent pas bien ses effets sur leurs corps. Dans cet article, Sarah Kheloui, doctorante en psychologie, et Dre Nafissa Ismail, professeure agrégée en psychologie, décrivent les effets de la pilule contraceptive sur le cerveau et le microbiote intestinal des adolescentes.
Qu’est-ce que la pilule contraceptive?
La pilule contraceptive représente le moyen de contraception le plus vastement utilisé par les femmes canadiennes. Elle permet de prévenir les grossesses en inhibant les fonctions reproductives. Effectivement, la pilule contraceptive bloque la sécrétion d’hormones endogènes et donc, l’ovulation qui survient une fois par mois. Elle permet également de modifier l’épaisseur du mucus cervical rendant ainsi difficile la navigation des spermatozoïdes vers le cervix et l’implantation d’un ovule fécondé.
Il y a plusieurs types de contraceptifs oraux. Les plus communs sont des pilules dites combinées qui contiennent des doses variables d’hormones synthétiques appelées progestatifs et éthinyl estradiol. Les contraceptifs hormonaux combinés se divisent en plusieurs générations. Ces générations se distinguent principalement par la dose, le type de progestatif utilisé ainsi que leurs risques d’effets secondaires. Il existe également des pilules qui ne contiennent que des progestatifs et qui sont plus communément appelées « mini-pill ».
Quels sont les effets de la pilule contraceptive ?
La pilule a été le sujet de nombreuses controverses au fil des années. Plusieurs femmes ont notamment rapporté des cas de thromboses veineuses suite à la prise continue de contraceptifs. Cependant, les contraceptifs semblent également avoir une influence sur l’humeur, la sexualité, la réactivité au stress et la cognition des femmes. Néanmoins, nous ne savons toujours comment les contraceptifs oraux influencent le cerveau des femmes. Plus important encore, comment ces effets se manifestent lors de périodes de développement importantes telles que l’adolescence ?
Votre adolescent.e ne boude pas, c’est son cerveau qui parle !
Avant toute chose, il est important de comprendre que le cerveau adolescent est plastique et se modifie continuellement. Ces modifications se font en fonction des expériences vécues et des changements corporels tels que la puberté. Le cerveau se raffine, se développe, de nouvelles autoroutes neuronales se créent. Le cerveau change tellement que certaines structures ne termineront leur développement que vers la fin de la vingtaine. Ces transformations remarquables et majeures se traduisent par de nombreux effets comportementaux tels que :
- La vulnérabilité au stress est accentuée
- Le système de récompense est « hyperactif »
- La prise de décision est fragile et susceptible à l’influence sociale
- Émergence de plusieurs troubles psychiatriques qui persisteront jusqu’à l’âge adulte
Ainsi, plusieurs des changements mentionnés ici sont très importants. En effet, les hormones sexuelles peuvent expliquer ces changements et ainsi l’activation de certaines structures cérébrales. Lors de la puberté, il y aura la sécrétion de plusieurs hormones sexuelles endogènes par différentes structures telles que l’hypothalamus, la glande pituitaire et les organes reproductifs (ovaires/testicules). C’est ce qu’on appelle l’axe hypothalamo-pituitaire-gonadique (HPG). Ceci va engendrer le début du processus de maturation sexuelle. Mais plus important encore, ces hormones remonteront au cerveau et vont activer des récepteurs qui se situent dans différentes régions cérébrales impliquées dans plusieurs comportements, troubles psychiatriques et fonctions cognitives.
La pilule et le cerveau des adolescentes
Nous avons déjà établi que le cerveau des adolescent.e.s est fragile et qu’il change énormément dû partiellement à l’effet des hormones sexuelles. Qu’arrive-t-il alors lorsque les contraceptifs oraux inhibent l’axe HPG lors de l’adolescence? En d’autres mots, quelle est l’envergure des contraceptifs oraux sur le cerveau des adolescentes?
La réponse est que nous ne le savons toujours pas.
Malgré qu’il y ait un nombre croissant du nombre de contraceptifs oraux prescrits à des adolescentes toujours plus jeunes, leurs effets demeurent incertains. Certes, la pilule possède certaines vertus telles que le traitement de l’acné et la régulation des douleurs menstruelles. Cependant, trop peu de recherches permettent de conclure qu’elle n’altère pas le développement et la maturation de certaines structures et fonctions cérébrales.
Certains résultats démontrent que la pilule affecterait certains réseaux reliant plusieurs structures cérébrales entre elles chez les femmes adultes et plus particulièrement chez les adolescentes. Il semblerait également que les adolescentes qui prennent des contraceptifs oraux soient plus vulnérables face à certains troubles de santé mentale comme la dépression. De la même façon, les adolescentes utilisatrices de contraceptifs oraux consommeraient plus d’antidépresseurs. Bien que ces résultats semblent démontrer des effets, ces derniers ne sont pas constants et solidement répliqués. C’est la raison pour laquelle il demeure nécessaire de poursuivre la recherche afin de mieux comprendre de quelle façon le cerveau adolescent est affecté par la prise de la pilule.
La pilule et le deuxième cerveau
Saviez-vous que vous avez un deuxième cerveau ?
Le microbiote intestinal est un mot bien à la mode ces temps-ci. Mais qu’est-ce que c’est exactement et de quelle façon est-il lié au cerveau?
Au quotidien, l’être humain vit avec un ensemble de virus, microorganismes et de colonies de bactéries dans son corps. Le microbiote intestinal représente l’ensemble de la flore vivant dans le système digestif et plus particulièrement les intestins. La santé intestinale régule plusieurs fonctions immunitaires et métaboliques. Plus récemment, des chercheurs ont identifié un lien entre la santé cérébrale et le microbiote intestinal. Ce lien est tellement important qu’on le nomme désormais le « gut-brain axis ». Cet axe représente un vaste réseau de communication bidirectionnel entre les intestins et le système nerveux central qui est principalement composé du cerveau.
L’émergence de plusieurs troubles psychiatriques (ex. dépression) et physiologiques seraient associés à la composition des différentes bactéries présentes dans les intestins. De même, certains neurotransmetteurs comme la sérotonine qui est impliquée dans la régulation d’un bon nombre de fonctions physiologiques et psychologiques semble être en partie métabolisé dans les intestins. De plus, les niveaux d’hormones sexuelles endogènes seraient également liés à la diversification de la flore intestinale chez les adultes.
Il semble aussi que la pilule contraceptive ait un effet sur l’abondance et la diversité des colonies de bactéries présentes dans les intestins. Cette découverte est majeure puisqu’elle suggère que les contraceptifs oraux peuvent avoir un effet sur le cerveau directement, mais aussi de façon indirecte via d’autres marqueurs physiologiques tels que la santé intestinale. Les données sur ce sujet demeurent très récentes, préliminaires et beaucoup de questions demeurent ainsi sans réponse. Plus précisément : Y a-t-il un effet de la pilule sur la flore intestinale des adolescents ? Si oui, quelle est son ampleur ?
Quoi conclure ?
Il y a maintenant plus de 50 ans que la pilule contraceptive est apparue sur le marché. Pourtant, beaucoup de femmes ont encore des questionnements et interrogations face à celle-ci. Seulement récemment, elle a commencé à soulever l’intérêt des scientifiques quant à ses effets exacts sur le cerveau et le microbiote intestinal. Trop peu de recherches permettent encore de conclure qu’elle possède des effets néfastes ou non. Une chose est sûre, elle appelle à la prudence lorsqu’on pense à la prescrire à des adolescentes et ce, malgré les effets positifs qu’elle semble posséder. L’adolescence est une période sensible du développement et il est important de prendre en considération la santé de son adolescente lors de la prise de ce genre de décision. Il est également important de prendre le temps de discuter avec elle et avec son médecin des risques potentiels associés tout en s’appuyant sur la recherche scientifique.
Merci. Très édifiant