Le retour au travail suite à un décès périnatal : parlons en!

Le retour au travail suite à un décès périnatal peut être éprouvant pour les parents.

La plupart des parents devant faire face à un décès périnatal font partie de la population active et doivent retourner travailler plus ou moins rapidement après le décès. Pour plusieurs, le retour au travail s’avère une expérience éprouvante. Néanmoins, peu d’études portent sur le vécu de ces parents-travailleur·euse·s. De plus, peu de balises sont disponibles concernant les mesures de soutien nécessaires pour les accompagner adéquatement dans ce processus. Dans cet article, Sophie Meunier, professeure et chercheuse en psychologie du travail et des organisations et Myriam Bédard-Lévesque, doctorante en psychologie, présentent les résultats préliminaires d’un projet de recherche visant à examiner l’expérience de retour au travail de ces parents.

Le décès périnatal

Le décès périnatal réfère à la perte d’un enfant durant la grossesse, lors de l’accouchement ou durant le premier mois de vie. Chaque année, le décès périnatal touche de nombreux parents. Pour plusieurs d’entre eux, le retour au travail suite à cet événement représente un processus stressant et ardu. En effet, le décès périnatal est habituellement associé à des symptômes de deuil, d’anxiété et de dépression intenses. Ces symptômes peuvent s’échelonner sur plusieurs mois, voire années, et donc interférer avec les activités professionnelles du parent.

De plus, le sujet du décès périnatal est souvent considéré comme étant tabou. Il est donc très peu, sinon jamais, abordé dans les milieux de travail. Les travailleur·euse·s et leurs employeurs peuvent donc se sentir plutôt démuni·e·s lorsqu’iels font face à cette situation.

Notre équipe de recherche a cherché à réduire ce fossé entre les besoins des parents et des milieux de travail d’une part, et la disponibilité des connaissances et du soutien d’autre part. Cet article présente les tous premiers résultats de notre étude menée auprès de travailleur·euse·s ayant récemment vécu un décès périnatal.

Notre projet de recherche sur le retour au travail suite à un décès périnatal

D’octobre 2021 à mai 2022, 347 parents majoritairement québécois ayant vécu un décès périnatal au cours des 12 derniers mois ont répondu à un questionnaire en ligne au sujet de leur état de santé, ainsi que des différentes modalités de leur retour au travail. L’échantillon incluait à la fois de parents ayant vécu un décès périnatal précoce (avant la 20ème semaine de grossesse – 60%) et tardif (après la 20ème semaine de grossesse – 40%). La majorité des participant·e·s était des femmes (92%). Environ la moitié des participant·e·s avaient vécu un décès périnatal depuis moins de 6 mois.

La santé psychologique des parents

Les parents sondés présentaient des symptômes de deuil (ex. : tristesse, sentiment de vide, inquiétudes, désespoir, difficulté à poursuivre ses activités habituelles). Ces symptômes étaient considérés être de niveau élevé, et ce, jusqu’à au moins 9 mois suivant le décès. Ces symptômes demeuraient intenses, et ce peu importe le type de décès périnatal. En effet, seuls, les parents ayant vécu un décès périnatal avant les 12 premières semaines de grossesse présentaient des symptômes de deuil légèrement moins élevés. Tous les autres parents présentaient des symptômes de deuil de niveau comparable.

Ainsi, malgré le caractère unique de chacune des expériences de décès périnatal, il est possible de constater la présence de symptômes de deuil intenses qui perdurent dans le temps chez la plupart des parents.

Un moment de répit avant le retour au travail?

La durée moyenne et le type du congé pris suite au décès périnatal variait grandement d’un parent à l’autre. En effet, 64 participant·e·s (soit 18%) ont déclaré n’avoir pris aucun congé suite au décès. Pour les autres participant·e·s, la durée moyenne du congé s’échelonnait de quelques jours à 72 semaines. Les parents ayant vécu un décès périnatal précoce ont indiqué avoir pris en moyenne 5 semaines de congé. Les parents ayant vécu un décès périnatal tardif ont plutôt déclaré un congé d’une durée moyenne de 18 semaines.

À cet effet, il est important de noter que le Régime Québécois d’Assurance Parentale (RQAP) prévoit un congé de maternité de 18 semaines pour les femmes ayant vécu un décès périnatal à partir de 20 semaines de grossesse. Aucun congé de ce type n’est prévu pour les hommes, ou pour les parents ayant vécu un décès périnatal précoce. Dans notre échantillon, ces parents étaient alors 2 à 3 fois plus susceptibles de se rabattre vers un congé de maladie ou un congé sans solde.

Ces résultats laissent supposer que la plupart des parents de notre étude sont retournés travailler alors que leurs symptômes de deuil étaient encore élevés. En effet, la durée moyenne des congés qu’ils ont pris était nettement inférieure à la durée des symptômes intenses de deuil qui pouvaient perdurer jusqu’à 36 semaines (9 mois) après le décès. De plus, alors qu’un congé de maternité est prévu lors de certains types de décès périnataux, une grande partie des parents n’y ont pas accès. Pourtant, les symptômes de deuil de ces parents peuvent être tout aussi intenses.

Les mesures de soutien lors du retour au travail suite à un décès périnatal

Certains parents ont pu bénéficier de mesures de soutien lors du retour au travail suite au décès périnatal. Cependant, encore là, les mesures disponibles étaient inégales d’un parent à l’autre. En effet, la majorité des parents (80.5%) ont pu avoir accès à des congés pour raisons personnelles. Néanmoins, la moitié des parents n’ont pu apporter de modifications à leurs tâches ou leur lieu de travail (ex. : télétravail) lors de leur retour.

Pourtant, nos données indiquent que les parents ayant pu bénéficier de tels accommodements présentaient significativement moins de symptômes de deuil, plus de bien-être psychologique au travail et moins de difficultés de fonctionnement au travail (ex. : quantité et qualité du travail effectué).

Conclusion

En somme, les résultats préliminaires de notre étude soulignent que les pratiques présentement en place afin de soutenir le retour au travail des parents vivant un décès périnatal sont plutôt inégales et parfois insuffisantes. Tout d’abord, la durée et le type de congé offerts gagneraient à être étendus, mieux balisés et uniformisés. À cet effet, plusieurs parents nous ont indiqué que faute de congés, ils sont retournés travailler essentiellement pour des raisons financières.

Par ailleurs, il est important de mentionner que d’autres parents nous ont aussi mentionné être retournés travailler puisqu’ils aiment leur travail et ont du plaisir à travailler. Ainsi, dans de bonnes conditions et la mise en place de certains accommodements, le travail pourrait devenir source de bien-être et faciliter le processus de deuil des parents. De petits accommodements, assez simples à implanter sur le milieu de travail (ex. : congés pour raisons personnelles, ajustement de l’horaire ou des tâches), peuvent faire une grande différence.

À propos des autrices

Sophie Meunier

Sophie Meunier est professeure au département de psychologie de l’Université du Québec à Montréal. Elle possède un doctorat en psychologie du travail et des organisations et six années d’expérience en tant que consultante et psychologue organisationnelle. Depuis le début de sa carrière professorale, ses intérêts de recherche portent les déterminants individuels (ex. : stratégies d’autogestion) et organisationnels (ex. : soutien du gestionnaire, des collègues, conditions de travail) de la santé mentale et du fonctionnement au travail des employés.

Myriam Bédard-Lévesque

Myriam Bédard-Lévesque est étudiante au Doctorat en psychologie (Psy. D.) à l’UQAM et auxiliaire de recherche à L’espace T – Laboratoire de recherche en santé psychologique appliquée aux communautés en milieu de travail, dirigé par Sophie Meunier, Ph.D.  Depuis 2 ans, Myriam collabore à un projet de recherche portant sur le retour au travail dans un contexte de deuil périnatal. Par ailleurs, son essai doctoral s’intéresse à l’impact du soutien social en organisation sur le processus de retour au travail et de deuil des parents ayant vécu un décès périnatal. Dans une vision plus large, Myriam souhaite sensibiliser les milieux de travail quant aux enjeux de santé mentale et contribuer à réduire les tabous à ce sujet. 

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